Docteur
Jules VerneÉcrivain de science-fiction et ministre de la Science de Napoléon III, qui s'est largement inspiré de ses propres écrits. Verne est plus un visionnaire et un scientifique généraliste qu'un ingénieur. C'est l'Asimov des années 1870. Son imagination fertile ébauche les principes généraux de ses créations, tandis qu'une armée de scientifiques gouvernementaux exécute ses plans.
Journaliste et diplomate
: Charisme [EXC], Instruction [EXC], Mêlée [BON], Narration
[EXT], Percpetion [EXC], Physique [BON], Relations [EXC].
39 ans en 1867
«Je suis né à
Nantes, où mon enfance s'est tout entière écoulée.
Fils d'un père à demi parisien et d'une mère tout à
fait bretonne, j'ai vécu dans le mouvement maritime d'une grande ville
de commerce, point de départ et d'arrivée de nombreux voyages
au long cours.» Ainsi se définit celui qui passionnera des générations
de lecteurs jeunes ou moins jeunes avec ses Voyages extraordinaires dans les
mondes connus et inconnus, l'un des auteurs les plus traduits au monde, maintes
fois porté à l'écran, créateur de figures devenues
mythiques, Jules Verne. Cet écrivain de l'anticipation et
de la prospective dont les héros sont physiciens, astronomes, ingénieurs
ou, plus généralement, inventeurs est également attentif
aux problèmes formels comme à la portée sociale de ses
romans. Il est passé maître dans l'art de tenir le lecteur en haleine,
trouvant dans la science la matière d'un lyrisme toujours renouvelé,
tout en restant lucide sur ses dérives et ses dangers.
Jules Verne est né dans un ancien quartier
d'armateurs. Son père, avoué, appartient à une famille
de gens de robe: il rêve de le voir suivre ses traces et de lui transmettre
sa charge. Son enfance et sa jeunesse sont celles d'un jeune bourgeois provincial
sous la monarchie de Juillet et l'éphémère IIe République:
études classiques au collège, puis au lycée (à une
époque où seule une infime partie d'une classe d'âge accède
à ce type d'enseignement, centré sur l'étude de l'Antiquité,
les langues anciennes et la rhétorique), jusqu'au baccalauréat.
De cette enfance, les biographes retiennent une
anecdote qu'il convient de considérer avec la plus extrême prudence:
en 1839, à onze ans donc, le jeune Jules aurait tenté une
fugue sur un long-courrier, la Coralie, pour rapporter un collier de corail
à sa cousine Caroline Tronson, dont il était amoureux; son père
aurait mis un terme rapide à cette escapade en le rattrapant à
Paimbœuf, sur la rive gauche de l'estuaire de la Loire. L'épisode,
qui semble bien littéraire (littéral même: Caroline/Coralie/corail..),
inscrit dans la saga familiale une dimension essentielle de l'œuvre à
venir: le voyage lointain, catalyseur de toutes les aventures comme de toutes
les découvertes et lieu de tous les rêves indécis.
Parti faire son droit à Paris, en vue de
succéder à son père, Jules Verne, tout en poursuivant ses
études – il obtient sa licence en droit en 1849 –, fait
ses premiers pas dans le monde littéraire. Il aspire alors à une
carrière théâtrale et est amené à rencontrer
Alexandre Dumas. Celui-ci l'encourage à l'écriture. Ainsi donnera-t-il
en 1850 un acte en vers, les Pailles rompues, que Dumas fera monter dans
son Théâtre historique, et qui connaîtra un succès
mitigé. En 1853, devenu secrétaire du Théâtre-Lyrique,
Jules Verne écrit le livret d'une opérette, Colin-Maillard, qui,
elle, sera saluée par la presse et jouée une quarantaine de fois.
En 1858, une autre opérette, Monsieur de Chimpanzé, sera
représentée aux Bouffes, et Onze Jours de siège, l'année
suivante, au Vaudeville. Entre-temps, l'auteur, qui a épousé en 1857
Honorine de Viane, une jeune veuve mère de deux enfants rencontrée
à Amiens, est devenu agent de change pour faire vivre sa famille. Mais
il rêve de consacrer son talent littéraire à la composition
d'un grand «roman de la science». Il travaille à ce qui deviendra
Cinq Semaines en ballon, et présente son manuscrit à de nombreux
éditeurs, qui tous le refusent.
La rencontre, en 1862, de l'éditeur
et homme de lettres Jules Hetzel est décisive pour l'écrivain.
Hetzel en effet conseille et encourage Verne, dont il deviendra l'ami. Il publie
Cinq Semaines en ballon en feuilleton dans le Magasin d'éducation et
de récréation (1862-1915), publication destinée à
la jeunesse qu'il édite avec Jean Macé. Ce sera le début
d'une longue et fructueuse collaboration. Verne vivra désormais de sa
plume, et ses romans paraissent bientôt dans les beaux volumes à
couverture rouge et or, somptueusement illustrés, de la «Bibliothèque
d'éducation et de récréation». La machine Verne tournera
à plein régime durant plus de quarante ans et produira une bonne
centaine d'œuvres.
Installé à Amiens, Jules Verne va
désormais alterner publications et voyages personnels. Décoré
– il est fait chevalier de la Légion d'honneur en 1870, officier
en 1892 –, reconnu – il est élu à l'Académie
d'Amiens en 1872 mais il ne sera jamais membre de l'Académie française
(il se porte candidat en 1877), qui couronne pourtant son œuvre –,
auteur à succès qui voit certains de ses romans adaptés
à la scène, Verne connaît la vie d'un écrivain à
la mode, les tirages de ses romans le prouvent, même s'il reste cantonné
dans le domaine de la littérature pour la jeunesse. Il mène l'existence
bourgeoise d'un notable de province amateur de navigation – l'inventeur
du Nautilus possédera successivement trois yachts, qui auront tous pour
nom Saint-Michel, et s'il n'a jamais lui-même voyagé autant que
ses héros, il n'est pas non plus un simple homme de cabinet –, intégré
à la vie de la cité – il sera élu au conseil municipal
de sa ville sur une liste radicale-socialiste –, mais surtout astreint
à une énorme activité de documentation et d'écriture.
Verne se partage ainsi entre le travail et une vie mondaine jusqu'en 1886,
année sombre: son fidèle ami Hetzel meurt; l'écrivain est
agressé par l'un de ses neveux, qui le blesse à la jambe d'un
coup de revolver (il restera boiteux). Verne vivra retiré jusqu'à
sa mort, à Amiens, tandis que le ton de ses dernières œuvres
(l'Île à hélice, 1895; Face au drapeau, 1896)
se fait quelque peu pessimiste, voire grinçant.
Jules Verne est contemporain d'importants développements
de la science et des techniques, de l'expansion du capitalisme, des grands voyages
de découverte et des conquêtes coloniales. Amené à
publier ses textes dans un périodique d'éducation et de récréation,
il va donner comme toile de fond à ses intrigues le monde entier, ce
monde que cherche précisément à domestiquer alors l'activité
européenne. Le contrat de lecture proposé par Verne répond
à une double exigence: il s'agit d'instruire en amusant et d'amuser en
instruisant le jeune public auquel il s'adresse. Hetzel, dans l'avertissement
qui ouvre les Voyages et Aventures du capitaine Hatteras (1866), définit
les objectifs visés par l'œuvre: «Ce qu'on promet si souvent,
ce qu'on donne si rarement, l'instruction qui amuse, l'amusement qui instruit,
M. Verne le prodigue sans compter dans chacune des pages de ses émouvants
récits. [...] Son but est, en effet, de résumer toutes les connaissances
géographiques, géologiques, physiques, astronomiques, amassées
par la science moderne, et de refaire, sous la forme attrayante et pittoresque
qui lui est propre, l'histoire de l'Univers.»
Le projet de Jules Verne se trouve soumis d'emblée
à des contraintes d'ordre technique. Comment rendre compte par le biais
de l'écriture de voyages imaginaires destinés à résumer
les connaissances encyclopédiques du temps? En créant des fictions
qui explorent, dans des proportions diverses, et quelquefois conjointement,
l'axe temporel et l'axe spatial; dans ce dernier cas, le romancier jouera d'oppositions
entre l'ici de son jeune lecteur et un ailleurs orienté: le haut, avec
ses expéditions aériennes (Autour de la Lune, Cinq Semaines en
ballon, De la Terre à la Lune); le bas, avec ses explorations souterraines
ou sous-marines (Vingt Mille Lieues sous les mers, Voyage au centre de la Terre);
le lointain, avec ses multiples quêtes (Aventures de trois Russes et de
trois Anglais dans l'Afrique australe, le Château des Carpathes, Un drame
au Mexique, Huit Cents Lieues sur l'Amazone, Voyage à travers l'Inde
septentrionale, Michel Strogoff de Moscou à Irkoutsk, le Phare du bout
du monde, le Tour du monde en quatre-vingts jours).